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Antonella Relli - Consultante en politiques socialesAntonella Relli

 

 

Articles

"Critique de la prestation pure"


La modernisation des politiques sociales implique une série de transformations qui questionnent les relations entre financeurs et opérateurs. Le risque de tensions et de rigidification du système est, dans ce contexte, bien présent. Pourtant, dans cette phase de transition, dans laquelle les cadres de références anciens sont caducs et les nouveaux pas encore tout à fait construits, il existe une vraie possibilité pour repenser les relations d’une manière qui fasse progresser les politiques publiques. Il s’agit de chercher comment faire vivre ensemble le contrôle de l’usage des fonds publics et la coopération pour la construction de politiques publiques plus adaptées à la complexité des questions traitées.

 

En matière de politiques publiques, l’actualité législative (1) est révélatrice des tendances qui s’affirment et qui font apparaître des enjeux majeurs autour de la clarification de la commande publique, de la nécessité d’évaluation de sa mise en œuvre et de l’affirmation de l’usager, destinataire des politiques sociales, en tant que sujet de droit. Ceci se traduit par une logique d’élaboration des programmes et schémas donnant un cadre de référence aux actions ainsi que par la formalisation de batteries d’indicateurs rendant compte des effets produits. Ces dispositions obligent à revisiter les modalités de travail entre institutions, opérateurs et usagers. Une des répercussions majeures observée concerne les modes de financements des actions par les pouvoirs publics ; même si ce n’est pas tout à fait nouveau, les modalités de type contractuel, avec les différents supports que sont les contrats ou les conventions d’objectifs, deviennent incontournables et officialisent de plus en plus un mode de relations « de commanditaire à prestataire ». Dans le modèle précèdent, la logique de subventions pouvait, par la reconduction automatique des moyens, induire un certain immobilisme, certaines structures bénéficiant même de « rentes de situation » et, plus globalement, à cause d’une faible lisibilité de la commande, le risque d’arbitraire était plus présent. Les évolutions actuelles sont donc prometteuses car elles affirment la volonté d’une plus grande transparence et d’un souci de mieux rendre compte de l’action publique dans un domaine, le social, où l’on a souvent pensé que ce n’était pas vraiment possible.

 

La prestation, une notion étriquée

Dans ce contexte, le passage d’une logique de subventions à la logique de rémunération des prestations semble s’inscrire dans un processus de modernisation (au sens de renouvellement) des politiques sociales que l’on pourrait difficilement contester sans mettre à mal tous ses aspects positifs. Nous voudrions néanmoins souligner quelques points qui nous semblent mériter une certaine vigilance. La notion de prestation, dans le champ de l’action sociale, se révèle malgré tout étriquée et renforce une conception mécaniste de l’action, réductrice par rapport à la complexité du réel. En effet, le plus souvent, les opérateurs, dans la relation avec les usagers, ne peuvent se contenter de répondre à une demande explicite : ils se doivent aussi d’aider à la faire émerger, ou encore ils peuvent difficilement, avec un usager, traiter une question isolée, mais se doivent de prendre en compte une série de problèmes qui mobilisent des partenaires, un

réseau, etc. Par exemple, dans le domaine des actions pour les personnes âgées, la prestation hôtelière serait la réponse à un besoin de prise en charge quotidien ; or ceci est nécessaire mais tout à fait insuffisant car il est aussi important de penser la place des personnes âgées dans notre société. Dans un autre exemple, en matière de logement pour personnes en difficulté, la réponse des centres d’hébergement (CHU ou CHRS), conçue comme une étape, ne peut pas vraiment se concevoir sans s’articuler avec un soutien pour favoriser un parcours d’insertion. On voit bien que l’action, dans le champ social, implique un objectif plus global qui transcende la réponse ponctuelle ; il s’inscrit dans la durée et vise, dans une certaine mesure, la transformation sociale.

 

Des jeux et des hommes

La réduction de l’action à la notion de prestation comporte de surcroît le risque de renforcer les protagonistes dans des jeux d’acteurs qui stabilisent les clivages et peuvent ainsi devenir des jeux à somme nulle. Ainsi, dans les relations entre les financeurs et les opérateurs, le risque demeure que l’on inscrive cette relation dans un imaginaire dans lequel il y aurait, d’un côté « les garants, bons contrôleurs de la dépense publique » et de l’autre « les opérateurs, faisant mauvais usage de l’argent public ».

Dans cette configuration, on voit s’affronter trois légitimités : celle du politique, celle du responsable institutionnel et celle de l’opérateur.

La légitimité politique est, dans notre démocratie représentative, incontestable et les élus sont, dans le cadre de la décentralisation, les initiateurs et les décideurs des priorités publiques sur les territoires. Mais cette légitimité est morcelée et difficile à exercer parce que la décentralisation ajoute de la complexité en ce qu’elle identifie différents niveaux de décision selon les compétences. De plus, certaines thématiques se situent sur différents champs de compétences et impliquent une approche transversale.

La légitimité institutionnelle est, quant à elle, déterminante ; car ce sont les institutions qui transforment la volonté politique en commande publique et qui créent les conditions de sa mise en œuvre. Mais cette élaboration légitime risque de se perdre dans des méandres bureaucratiques et gestionnaires et décrocher la commande de la signification sociale que lui avait donnée le politique. Pour le dire autrement, la nécessité de garantir la conformité de l’action et de contrôler la bonne utilisation de l’argent public est incontestable ; ce qui est à revoir, ce sont les modalités et procédures, parfois kafkaïennes, mises en œuvre pour le faire. De la même manière, la logique de mise en concurrence des opérateurs par les commanditaires est porteuse de dérives. D’une part, parce que la recherche de mise en œuvre des politiques publiques au moindre coût n’est pas expressément compatible avec une volonté de qualité des actions. D’autre part, le développement d’actions de qualité repose aussi sur la capacité d’un ensemble d’acteurs du territoire à travailler en synergie et en cohérence, ce qui est difficilement conciliable avec une logique concurrentielle, sans pour autant tomber dans le travers du monopole.

Enfin, la légitimité des opérateurs est évidente car ce sont eux qui, « in fine », mettent en œuvre concrètement les actions et qui possèdent l’expertise en matière professionnelle à déployer. Les opérateurs du secteur social sont souvent engagés dans la professionnalisation et dans une recherche d’amélioration de leurs pratiques. Le sentiment de contrainte et la nécessité de dépenser une énergie considérable à rechercher les moyens pour faire, provoque de l’exaspération et les conduit à se replier sur des positions défensives face aux commanditaires et/ou à ne pas les considérer comme des interlocuteurs compétents sur le champ professionnel.

Si l’on nie les limites et les interdépendances de chacune de ces légitimités, on tend à s’enfermer dans un mode de relation inadapté, voire caricatural, chacun pouvant ainsi penser qu’il détient à lui seul la « vraie » légitimité. Or, se penser comme le seul légitime est disqualifiant pour les autres et apporte de la suspicion dans les relations.

Cette posture est mortifère car elle développe toute une série de comportements, entre les différents acteurs, qui nuisent gravement à l’efficacité de l’action. Loin de faire de l’angélisme, il me semble fondamental de poser un postulat de confiance : on se doit de prêter à l’autre (le politique, le commanditaire ou l’opérateur) une intention d’intérêt collectif dans sa contribution à l’action publique. Cette attitude favorise la possibilité de combiner les différentes légitimités, condition indispensable pour faire face aux enjeux d’efficacité, d’efficience et de pertinence de l’action publique.

 

Quelles pistes pour l’avenir?

Malgré ces pièges, pour une vision plus large des politiques publiques, qui ne se réduise pas aux prestations financées, on peut imaginer quelques pistes d’amélioration des coopérations ; certaines sont déjà tracées, d’autres sont à inventer.

Il me semble que deux modalités doivent pouvoir coexister : la première implique le contrôle et la négociation entre l’opérateur et les pouvoirs publics, ceux-ci lui délégant une partie de la mission de service public. Il s’agit ici d’améliorer le dialogue, sans doute de simplifier les outils et pour chacun, de faire l’effort de compréhension des contraintes de l’autre. C’est une dimension nécessaire, utile, dans laquelle chacun doit prendre la responsabilité qui est la sienne. La seconde que l’on voit déjà apparaître, est celle qui nécessite de construire, sur un territoire défini et par grandes thématiques, des espaces de co-élaboration des politiques publiques. Ceci peut se faire, dans un premier temps, en partageant, entre élus, institutions et opérateurs, les éléments de diagnostic en termes d’identification des risques, ressources et priorités ; puis en construisant les réponses adaptées conjointement aux outils d’évaluation qui permettent de se rendre compte, de rendre compte et de poursuivre l’ajustement aux évolutions du territoire.

Enfin, une piste d’amélioration est celle de l’implication des habitants aux moments clés de construction et de mise en débat de ces politiques. Ainsi, l’action ne sera pas seulement une prestation à destination d’un « usager consommateur » mais la résultante d’ambitions et de responsabilités partagées.

Antonella Relli
Juin 2005

 

(1) Je me réfère ici plus particulièrement à la loi organique relative à la loi de finances (LOLF ) et à la loi 2002-2

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"La bientraitance au cœur du projet"


La volonté de la Croix-Rouge Française et de la direction de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes "Henry Dunant " de Bordeaux, était de mobiliser les équipes dans une dynamique de questionnement et de formation sur le thème de la bientraitance dans l'institution.

La finalité de notre intervention était opérationnelle ; elle a permis d'aider les professionnels de l'établissement à mieux comprendre les mécanismes de la maltraitance pour faire évoluer les pratiques professionnelles autour d'un projet collectif fondé sur la bientraitance des résidents.

 

Un contexte en évolution

Sur le plan législatif

L'amélioration de la qualité est le noyau de la réforme de la tarification et du financement des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. (loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 et arrêté du 26 avril 99).
La loi 2002-2, qui renforce les droits des usagers, va durablement organiser le fonctionnement des services et structures. Cette loi constitue une étape significative de cette évolution puisqu'un certain nombre de procédures découlant de cette volonté seront désormais inscrites dans le fonctionnement légal des structures.
La prise de conscience de la maltraitance envers les personnes âgées et les personnes vulnérables est un phénomène émergent ; mais cette notion commence à se répandre dans les milieux institutionnels et dans le public.

... Et sur le plan « culturel »

L'instauration de nouveaux rapports entre professionnels et « usagers » de l'action sociale et médico-sociale, s'inscrit dans une évolution sociétale au long terme. On peut le relier à la volonté contemporaine d'augmenter le poids et les garanties de l'individu face à des institutions dont on n'accepte plus la toute puissance.
En rester au texte de la loi, en faire découler directement le fonctionnement institutionnel risque de s'avérer insuffisant pour entraîner un changement réel dans les pratiques, voire de constituer une impasse pour les structures qui souhaitent approfondir leur réflexion sur cette place des usagers dans l'action. Car une logique uniquement procédurale risque d'assécher tout ce que l'expérience d'une relation revisitée avec les usagers pourrait apporter à l'évolution des structures. Notamment, dans le secteur médico-social, tout le monde comprend bien qu'il ne suffit pas de créer une réunion collective avec les usagers pour faire évoluer des rapports institués, ni d'informer formellement les usagers de certains de leurs droits pour que ceux-ci les exercent réellement. Mais il existe bien d'autres conditions à penser, à inventer pour faire réellement avancer la question.

 

Un positionnement institutionnel et managérial

Ces évolutions et questionnements sont au cœur des préoccupations de la Croix Rouge Française qui gère un grand nombre d'établissements prenant en charge des personnes vulnérables pour lesquelles il est plus particulièrement nécessaire d'être attentif afin de prévenir les risques de maltraitance. La volonté de la Croix-Rouge est, outre la prévention du risque, celle de promouvoir la bientraitance comme modalité partagée et pragmatique dans le fonctionnement de ses structures et dans les pratiques de ses professionnels. Pour réaliser ce projet, elle a envisagé un travail expérimental dans un établissement d'accueil pour personnes âgées dépendantes de Bordeaux et, par la suite, sa généralisation à d'autres établissements sociaux et médico-sociaux.

La direction de la structure bordelaise a, quant à elle, fait le constat d'un fonctionnement qui reposait sur une conception du résident considéré plus comme « objet de soin » que comme « sujet de droit ». Elle a souhaité engager une démarche afin de faire évoluer l'organisation, le fonctionnement et les pratiques de l'établissement pour mieux être au service de l'usager.

 

La formation-action, un levier pertinent

Parce que le défaut de bientraitance réside aussi dans des petits gestes ou des attitudes dénuées de mauvaises intentions, il est nécessaire de sensibiliser les équipes à cette thématique pour faire progresser respect et dignité de la personne accueillie. Dans le cadre d'un module de formation-action, nous nous sommes attachés, avec l'ensemble du personnel de la structure, à :

  • comprendre collectivement les mécanismes qui favorisent la ma ltraitance,
  • se mettre d'accord sur une définition de la maltraitance quotidienne et ordinaire (défaut de bientraitance) ,
  • définir les conditions qui favorisent la bientraitance : l'évolution des pratiques professionnelles, l'organisation du travail dans la structure, la participation des résidents, la participation des familles, etc.

Cette formation action reposait sur quelques principes. Tout d'abord, celui de la participation active du personnel ; c'est à partir de leurs pratiques que nous avons travaillé pour verbaliser les questions et les difficultés rencontrées. Cette première étape est importante dans la prise de conscience et l'ensemble du personnel y a participé. La formation, pour être efficace, doit s'inscrire dans une dynamique d'évolution ; un deuxième temps a été organisé, avec un groupe de travail plus restreint, afin de formaliser des outils qui favorisent l'évolution des pratiques (axes d'amélioration).

 

Engagement des professionnels et participation des résidents

Chaque groupe a travaillé sur le constat de ce qui, dans la pratique quotidienne, est considéré comme « maltraitant » et de ce qui est considéré comme bientraitant, mais sous deux angles complémentaires : un groupe sous l'angle des postures professionnelles, et l'autre sous l'angle de l'organisation. Le constat a été posé collectivement et a été enrichi par le questionnaire qui a permis aux résidents et aux familles de s'exprimer de manière « formelle » sur le fonctionnement de la structure. Nous avons aussi cherché à mieux identifier les facteurs principaux qui, isolés ou combinés, expliquent les pratiques qui paraissent les plus insatisfaisantes.

Les deux derniers jours de formation ont permis d'élaborer les pistes et les outils d'amélioration. Le directeur a été associé à ce travail.
Avec ce groupe, trois axes de progrès ont été retenus dans un plan d'action :

  • Informer, communiquer (par exemple, sont prévues : une formation à la communication, la réalisation du livret d'accueil, etc.)
  • Faire évoluer les pratiques professionnelles (par ex., ont été définies les modalités permettant de partager les compétences entre collègues, ou celles concernant l'accueil des nouveaux salariés)
  • Individualiser les réponses aux personnes (par exemple, expérimenter la mise en place de réfèrent pour les résidents, favoriser et prendre en compte l'expression des résidents et de leur famille, etc.)

Pour chacun de ces axes, une ou plusieurs actions ont été déclinées. Des référents se sont portés volontaires pour être les garants de la réalisation et une planification a été fixée.


Ensuite des engagements ont été définis, résultante d'un accord collectif dans lequel chacun se sent impliqué, pour que l'engagement pris soit tenu. Ces engagements sont un levier pour que la bientraitance soit à la fois une implication de chaque professionnel et de l'établissement.

  1. Concilier et équilibrer la dimension sociale et la dimension médicale pour chaque résident (prendre en compte le soin, les loisirs, les relations intérieures et extérieures, etc.)
  2. Être attentif aux demandes et aux besoins des résidents (se référer aux besoins fondamentaux)
  3. Négocier avec la personne afin de chercher son adhésion, et/ou celle de son environnement, aux décisions qui la concernent
  4. Rendre possible, pour chaque résident : pouvoir penser, décider, choisir et l'exprimer. C'est cela l'autonomie, même quand on est dépendant, et c'est le contraire de l'hétéronomie
  5. Être vigilant à développer une attitude d'accompagnement et à ne pas être dans une attitude directive et infantilisante
  6. Faire progresser la qualité hôtelière du cadre de vie : confort des espaces privés et collectifs, repas, hygiène, etc.
  7. Améliorer la qualité de vie : socialisation, animation, ambiance, etc.
  8. Mieux communiquer avec les familles et les résidents sur notre travail et les faire participer à la vie de l'établissement dans une volonté de partenariat.
  9. Développer la formation pour faire progresser la compétence individuelle et collective.
  10. Améliorer la coordination et le travail d'équipe pour qu'il soit plus complémentaire et plus satisfaisant

 

Enfin, une démarche d'évaluation, corollaire accompagnant le changement, a été envisagée, avec un support qui, à partir des engagements pris, questionne chaque professionnel sur l'avis qu'il a des progrès réalisés collectivement ; il sera intéressant également de solliciter à nouveau l'avis des résidents et des familles.

Une phrase du directeur résume assez bien la démarche : « la maltraitance est un constat, la bientraitance est un projet ».

Antonella Relli
Avril 2005

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"Les nouveaux monstres"

 

Depuis un certain temps le souvenir du film italien « les nouveaux monstres » me revient en mémoire avec insistance. Ce film réalisé en 1978 par Dino Risi et composé de douze sketches mettait en scène les attitudes d’indifférence, d’égoïsme et de mesquinerie de gens ordinaires dans la vie quotidienne. Deux éléments dans le film étaient présentés comme les ressorts de ces comportements : la peur et le délitement du lien social.

A l’époque, cette fresque me paraissait une caricature grinçante de la société et je tendais à prendre le message comme une mise en garde et non comme un constat décapant de la réalité. Près de 25 ans plus tard ces aspects, peu réjouissants, de la nature humaine semblent prendre une place prépondérante dans la vie sociale et politique.

Ils se sont, en outre, cristallisés dans la présence de Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles en France et, plus généralement, dans les réflexes nationalistes de plusieurs pays européens. Ces réflexes nationalistes se posent comme remède aux maux et périls d’une société qui va mal et comme refus de l’Europe et de la mondialisation.  Selon son propre angle de vue, on a tendance à désigner l’autre comme « le nouveau monstre » : l’électeur du front national, l’étranger, le jeune, le pauvre, le délinquant, etc. celui qui, en fait, fait peur, à qui on attribue les pires défauts, le risque étant alors de masquer ou même ignorer les causes profondes de la crise.

 

(1) Dans cette mise à mal de la démocratie et dans l’expression de ce malaise, il est bien question de peur et ce n’est sans doute pas de sa manifestation la plus extérieure et visible qu’il s’agit mais de celle qui trouve son origine dans la dégradation d’un tissu social qui a perdu ses anciennes solidarités sans en trouver de nouvelles et dans l’affaiblissement de l’espoir d’un futur meilleur.

Ce constat nous incite, nous consultants, à réaffirmer les principes sous-tendant nos interventions.

« Ceux qui ont conscience de la gravité de ces questions doivent faire ce qui est en leur pouvoir, qu’il s’agisse de la parole, de l’écrit ou simplement de leur attitude à l’endroit qu’ils occupent pour que les gens se réveillent de leur léthargie contemporaine et commencent à agir dans le sens de la liberté » (2)

C’est dans le partage de cette affirmation que nous nous sommes questionnés après les résultats du scrutin du 21 avril, révélateur à la fois des carences qui affectent notre démocratie et des périls qu’elle encourt.

 

Dans notre travail de consultants dans le champ des politiques sociales, nous intervenons auprès des élus locaux, des techniciens et parfois, pour entendre leur point de vue, dans le cadre d’évaluations ou d’élaborations des projets, auprès des usagers. Nous sommes en situation de travail direct avec les acteurs qui sont confrontés et impliqués en première ligne dans les questions évoquées ci-dessus, questions qui ont été exaspérées et déformées dans le récent débat électoral.

Dans l’exercice de notre métier nous intervenons dans l’aide à la compréhension des systèmes et des situations ; ayant pour objectifs de faciliter la communication entre les différents acteurs et d’aider à la décision, nous privilégions la posture maïeutique à celle « d’expert ». .

Dans nos interventions nous devons ainsi contribuer à :

  • reformuler et mettre en débat les questions entre les différents acteurs ;
  • aider à ce que chacun s’exprime et s’écoute ;
  • affirmer la complexité des phénomènes sociaux ;
  • rendre plus lisibles les modalités d’interventions du champ social ;
  • soutenir les acteurs ;
  • permettre et faire remonter l’expression des habitants des quartiers, ou usagers des services.

 

Privilégier cette posture interdit d’être neutre : il y a des « vérités » à reformuler et des mensonges à démentir ; la reconnaissance des symptômes ne doit pas faire écran à l’analyse et on ne peut accepter la désignation de boucs émissaires.

Il en est de notre responsabilité professionnelle et civique, nous ne pouvons intervenir et agir sans arrière pensée « politique » (pris au sens étymologique).

Oui, en tant que femme, citoyenne et professionnelle j'ambitionne de participer à régénérer le futur.

C’est à partir de cette ambition et sur une certaine conception de ma responsabilité professionnelle, en tant qu’intervenante dans les questions du social, qu’au quotidien de l’action les sphères publique et privée se rejoignent.

Car j’aspire aussi, comme tout un chacun, à un monde meilleur où la violence régressant, les incertitudes de l’avenir se réduisant et la générosité s’épanouissant….. les nouveaux monstres disparaîtront enfin.

Antonella Relli
juin 2002

 

(1) Je fais référence ici à l’analyse d’Edgar Morin dans l’article du Monde « La fausse identité nationale »

(2) Castoriadis « la Montée de l’insignifiance », Seuil

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"Les pratiques en prévention spécialisée à l’épreuve du milieu rural"

 

Le Conseil Général de la Seine et Marne cherche à impulser l’intervention d’équipes de prévention spécialisée sur des cantons à dominante rurale. La compétence actuelle de la prévention spécialisée sur le département s’exerçant essentiellement en milieu urbain, il a semblé nécessaire de réfléchir aux modalités spécifiques de sa mise en œuvre en milieu rural. Antonella Relli a accompagné l’implantation de quelques équipes.

 

Nombre de cantons ruraux ou semi urbains du département de la Seine et Marne ont une population jeune très importante, disposent de peu de structures et de moyens pour proposer des activités pour la jeunesse. On voit également apparaître un certain nombre de phénomènes de déviances ou, au minimum, certains comportements de jeunes qui provoquent des tensions ou conflits intergénérationnels. Le Conseil Général, conscient de ces difficultés, a sollicité la prévention spécialisé pour une plus grande présence sur ces territoires.

L’intervention d’une équipe d’éducateurs spécialisés doit permettre, dans une volonté de prévention, de faire lien avec les jeunes, isolés en souffrance ou regroupés et ayant des comportements qui troublent la vie de la commune, et de rétablir un dialogue avec les jeunes rétifs ou en difficulté. Les éducateurs deviennent ainsi passeurs, médiateurs entre ces jeunes, les partenaires locaux et les habitants.

L’intervention doit également initier des actions concrètes, qui contribuent à ce que les jeunes se sentent utiles et à ce que leur image évolue auprès des habitants. Elle doit constituer une ressource locale auprès des Maires et des partenaires pour des situations

individuelles difficiles ou pour du conseil sur des actions jeunesse à engager. Bien évidemment, ces axes doivent se décliner de façon spécifique selon les territoires. Pour identifier ce qui est pertinent à mettre en place il convient donc de procéder à la collecte d’informations, pour disposer d’une image du territoire, de ses risques et ressources, et solliciter la participation des acteurs et des habitants à la réflexion initiale de l’équipe.

 

Une concertation nécessaire

L’équipe de prévention spécialisée, pour s’implanter sur le territoire défini, doit disposer de repères et de relais : un travail d’information et d’échanges avec les élus et les partenaires, pour les associer, dès la conception, au projet qui se met en place, est le préalable nécessaire pour permettre l’installation de l’équipe dans de « bonnes conditions ». De plus les élus et partenaires des cantons possèdent une connaissance précieuse qu’aucune statistique ne peut apporter pour comprendre la dynamique du territoire. La prévention spécialisée ne peut rien faire seule, dans la mission qui est la sienne (prévenir les déviances et l’exclusion) ; elle se doit de faire lien avec les structures existantes. C’est dans ce sens qu’il est important de mobiliser et communiquer avec l’ensemble des partenaires.

Il est également souhaitable de rencontrer quelques jeunes dans le cadre de cette réflexion préalable pour envisager comment mieux les associer à la conception d’actions qui leur sont destinées. Cette phase en amont de l’installation est à réaliser en lien étroit avec l’Unité d’Action Sociale  qui constitue l’ancrage et l’interface possible entre l’équipe, les acteurs et les habitants (1) du territoire.

 

Des difficultés et des modalités spécifiques….

Les territoires d’intervention sont vastes (deux ou trois cantons et plusieurs dizaines de communes) et les équipes assez petites. De ce fait, la première difficulté à résoudre, pour les éducateurs, est celle d’être présents sur les communes sans passer leur temps à sillonner le territoire. L a mise en place de référents jeunesse locaux (sous contrat emplois jeunes) employés par des regroupements des communes, pourrait constituer un relais de proximité et encadrer localement des actions en faveur des jeunes. Ils bénéficieraient du soutien technique et de l’encadrement de l’équipe de prévention spécialisée.

Une autre difficulté est constituée du fait de l’absence fréquente d’intercommunalité organisée. Dans la phase préalable de concertation et de communication il est essentiel de faire en sorte que le projet qui se met en place avec la prévention spécialisée soit bien un projet à l’échelle intercommunale. Cela doit permettre de fédérer les initiatives et regrouper les moyens pour des actions en faveur des jeunes. Les porteurs politiques du projet doivent être les conseillers généraux des cantons pour qu’ils impulsent une dynamique cantonale voire inter cantonale. Pour trouver leur place les éducateurs auront à se faire accepter et reconnaître localement. La visibilité de l’action des équipes est, sur ces territoires, l’élément clé de leur crédibilité auprès des élus, des partenaires locaux et des habitants.

 

….qui favorisent une plus grande créativité

Plusieurs associations ont été sollicitées pour intervenir sur les cantons ruraux. Les premières implantations sont récentes et le plus souvent en cours de réalisation ; on ne dispose donc pas de recul suffisant ni d’éléments d’évaluation. Toutefois, la réflexion impulsée par cet élargissement du territoire d’intervention oblige la prévention spécialisée à sortir des modalités usuelles, voire même des habitudes routinières dans lesquelles les équipes se sont parfois installées. Sans renier les principes ni les missions de la prévention spécialisée, il est, dans ce cadre, obligatoire de diversifier les modes d’action et les temporalités. Si sur les territoires urbains la prévention spécialisée doit redéfinir sa place parmi une multitude d’intervenants, sur les communes rurales c’est le manque d’intervenants qui est le contexte le plus fréquent et les éducateurs vont être amenés à faire parfois à « la place de . . ». Ainsi tout en construisant les modalités permettant la mise en place de suivis individuels des jeunes, l’équipe doit pouvoir montrer une forte réactivité aux sollicitations locales et mettre en place assez rapidement des actions concrètes, faute de voir son implantation échouer.

Les actions peuvent être, selon les communes, très diverses : organisation d’évènements locaux à destination des jeunes, réalisation d’un chantier avec les jeunes (remise en état d’un lavoir par exemple), médiation entre jeunes et adultes (théâtre forum par exemple), aide au montage d’un projet (contrat temps libre par exemple). Ceci implique d’élargir les compétences en privilégiant la composition d’équipes pluridisciplinaires qui mixent savoirs, savoir-faire et expériences d’autres secteurs (médiateurs, agent de développement, animateurs etc.).

 

Même si tout ceci existe déjà un peu, la crainte de perte d’identité est présente pour la prévention spécialisée. Ainsi mettre ces questions en débat, renforcer l’accompagnement, le soutien et la formation des équipes sont des conditions essentielles pour la réussite de ces implantations. L’augmentation souvent soulignée des difficultés de la jeunesse en milieu rural est un enjeu qui mérite cet investissement.

 

Antonella Relli
mars 2002

 (1)  La circonscription d’action sociale

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"Lutte contre les discriminations, les centres sociaux s’engagent"

 

C’est avec les volontés conjuguées de la coordination des centres sociaux d’Ile de France et de la direction régionale du FASILD que cette démarche sur la lutte contre les discriminations a pu se réaliser avec les centres sociaux de la région parisienne. Antonella Relli a accompagné et formalisé l’ensemble de ce travail.

Mettre en réflexion et en action cette thématique avec les centres sociaux, n’allait pas de soi.

En effet, un certain nombre de questions se devaient d’être débattues, tant sur le positionnement politique (s’engager et l’afficher), que sur des aspects plus pragmatique (légitimité, modalités, etc).

Aujourd’hui, le chemin parcouru sur cette problématique avec les acteurs des centres sociaux, permet de penser concrètement leur contribution à la lutte contre les discriminations. Sans apporter un modèle rigide ni de réponses définitives, un guide, «Discrimin’Actions », élaboré avec les centres sociaux, propose quelques repères, au croisement de la réflexion et de la pratique et servira, nous le souhaitons, de référence à l’ensemble des acteurs du réseau.

 

Un choix méthodologique

Le choix méthodologique a été celui d’une recherche-action, par nature participative. En rencontrant les acteurs des centres sociaux, nous avons assez rapidement reformulé le sujet de travail en le focalisant sur la lutte contre les discriminations, pour éviter l’amalgame entre intégration et discrimination.

L’intégration vise le public immigré et les actions conçues dans cet axe ont pour objectif de lui apporter les éléments nécessaires à son autonomie (apprentissage de la langue, connaissance des institutions etc), pour vivre dans le pays d’accueil. Mais, après presque un demi-siècle de politique d’intégration tournée vers le public accueilli, il n’était plus possible de continuer à ignorer que les difficultés d’intégration rencontrées par certains publics (minorités visibles) étaient dues à la société.

Le constat que nous avons fait est que, dans les centres sociaux, l’axe de lutte contre les discriminations est présent mais encore trop implicite et peu construit. Travailler sur cet axe implique de mobiliser des outils spécifiques et complémentaires à ceux de l’intégration. En effet, tout en considérant que politique d’intégration et lutte contre les discriminations sont indissociables, les centres sociaux ont une plus grande pratique et expérience dans le travail auprès des populations immigrées, ou issues de l’immigration, que dans les actions visant à « transformer » la société d’accueil.

Ce travail avec les centres sociaux a privilégié la réflexion pour :

  • outiller l’observation et la pensée sur la discrimination
  • et mieux identifier ce qui, dans les actions, peut faire levier.

 

Penser et agir autrement

Une réalité à considérer

Le phénomène de la discrimination raciale n’est pas nouveau, il touche l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la formation, au logement, à la culture, aux loisirs, à certains commerces, etc. Ce qui est nouveau, c’est son émergence sur la scène politique et sociale. En France, le modèle d’intégration, qui se base sur l’idéal républicain, refuse toute différenciation établie sur une base ethnique ou culturelle. Une personne d’origine immigrée, en théorie, a les mêmes droits et les mêmes devoirs que les nationaux : la norme est le droit commun. Ceci a rendu plus difficile la prise en compte et la mise en débat des discriminations car elles questionnent les fondements du modèle républicain (l’égalité).

 

La discrimination, un phénomène complexe

Cette inscription récente de la lutte contre les discriminations dans les politiques publiques, est désormais rendue nécessaire par :

  • les limites d’un modèle d’intégration basée sur l’égalité
  • les inégalités qui touchent également les Français des DOM-TOM et les Français issus de l’immigration présentant des signes extérieurs de différence (couleur de la peau, patronyme etc.)
  • le non-sens qui consiste à parler d’intégration pour des générations issues de l’immigration mais nées et vivant en France
  • les clivages et fractures que la discrimination produit au sein de la société

 

Toutefois, le tabou qui pèse sur la question rend d’abord difficile une meilleure connaissance des mécanismes de la discrimination. Celle-ci, qui peut être (1) :

  • directe, c’est une décision intentionnelle et négative à l’égard d’une personne en fonction de critères illégitimes (origines, religion, sexe, etc.) ; elle renvoie à des pratiques individuelles ;
  • indirecte (ou systémique), c’est un processus plus difficile à appréhender car mettant en jeu un système d’acteurs dans lequel personne ne manifeste d’intentions discriminatoires directes, mais dont le résultat sera de co-produire une situation de discrimination. (Par exemple les intermédiaires de l’emploi qui n’envoient pas un jeune d’origine maghrébine dans une entreprise de peur de le placer dans une situation d’échec).

 

On voit comment la discrimination est le produit d’un système, auquel chacun peut participer, même inconsciemment : nous sommes tous discriminants et personne n’est à l’abri des représentations erronées, des préjugés ou des erreurs de jugement. On peut discriminer « de facto » par souci de protection comme dans l’exemple cité plus haut.

 

Une mobilisation nécessaire

Les centres sociaux en Ile de France sont une véritable force car ils représentent plus de 220 structures, plus de 3 200 salariés et près de 6 000 bénévoles. Ils accueillent près de 3000 associations et touchent un peu plus de 16 % de la population francilienne.

Ils sont au contact permanent de la population (en particulier de la population en risque d’être discriminée) et constituent un lieu d’articulation entre espace privé et espace public. Il est sans doute plus facile, pour certaines personnes, de dire dans un centre social avec moins de difficulté ou de honte, la discrimination subie, que dans un lieu « institutionnel » ou mal identifié (114, CODAC etc.)

A ce titre, les centres sociaux sont un espace privilégié de lutte contre les discriminations, en ce qui concerne la mobilisation et la sensibilisation des professionnels au repérage, à la compréhension des processus discriminatoires et à leur transformation.

Les centres sociaux ont, dans leurs missions et dans leurs modalités d’intervention, un savoir faire qui repose sur les relations de proximité avec les personnes pour :

  • faire confiance aux gens, leur apprendre à se faire confiance mutuellement et à acquérir confiance en eux-mêmes
  • ne pas les conforter dans un rôle de victimes mais les aider à se remettre en mouvement

 

Parmi les actions qu’ils mettent en place, nombreuses sont celles qui visent à créer du lien et, au quotidien ils se « battent » pour faire évoluer les mentalités et faire reculer les préjugés.

Se mobiliser sur cette question, affirmer une position pour combattre les dénis et pour aider à la connaissance des phénomènes discriminatoires et de leurs conséquences, (souffrance, méfiance, haine et délitement social) semble être une mission « naturelle » et « évidente » pour les centres sociaux car étroitement liée à ce qu’ils défendent. La lutte contre les discriminations apparaît ainsi comme un nouvel enjeu de l’éducation populaire car au cœur des questions du « mieux vivre ensemble » et du lien social.

 

Les conditions pour agir

S’inscrire dans une démarche d’ensemble

Comme tout effet de système, la lutte contre les discriminations implique, pour agir efficacement, d’intervenir à différents niveaux en combinant la dimension politique, les mesures législatives et les actions « éducatives ».

Pour les centres sociaux, il est d’abord nécessaire de s’appuyer sur un portage national qui affiche un « engagement politique », car  c’est un positionnement sur un enjeu actuel de société, qui engage le mouvement et renouvelle le mode d’intervention des centres sociaux.

Il faut ensuite poursuivre la mobilisation à l’échelle régionale et départementale, pour ne pas avancer en ordre dispersé, ce qui non seulement réduirait l’impact des actions, mais pourrait, selon les réalités locales, fragiliser certains centres sociaux.

Au niveau de chaque centre social, il s’agira d’être attentif à ce que la lutte contre les discriminations devienne « l’affaire du management » (la direction et le conseil d’administration). Il faut rester attentif à ce qu’il ne s’agisse pas d’initiatives prises isolément, par quelques salariés, dans un engagement militant.

Enfin, il est important que le mouvement des centres sociaux ne se mobilise pas seul sur cette question. Il est nécessaire de négocier cette priorité avec les institutions partenaires des centres sociaux (CAF, collectivités territoriales, etc.) et de trouver en elles des alliées.

 

Repérer les discriminations

Pour lutter efficacement contre les discriminations, il faut avant tout apprendre à les repérer, y compris dans des situations qui se sont «banalisées » du fait de l’acceptation tacite ; en effet, la multiplicité des raisons de ne pas se mobiliser et la difficulté de l’exercice obligent à systématiser l’observation. Connaître, comprendre et porter à connaissance, c’est déjà agir ; de plus, la reconnaissance de la réalité de la discrimination est déjà un soulagement en soi pour les personnes discriminées. Il faut s’exercer à l’observer de façon méthodique : être dans le « compassionnel pur » n’est pas forcément efficace, être dans le soupçon non plus.

 

Construire des réponses

La lutte contre les discriminations regroupe, à la fois, toutes les actions de sensibilisation, d’information, de formation, de management à destination de toutes personnes, institutions publiques et privées (administrations, services publics, entreprises, etc.) visant l’égalité de traitement entre les personnes et celles qui visent la reconnaissance des cultures et des manières de vivre.

Il s’agit ici de développer et de concevoir les actions spécifiques qui permettent de faire évoluer les mentalités à l’échelle collective, c’est-à-dire des groupes et des institutions. Ces actions doivent permettre de sortir du déni et de mettre en débat, sur les territoires, avec tous les acteurs, la question de la discrimination.

Puisque le sujet est complexe, il est important que les centres sociaux (professionnels, élus, bénévoles) se forment, pour être mieux armés aux fins de conduire les débats dans l’espace public. Il est possible d’envisager d’impliquer les habitants dans ces modules. L’objectif est bien celui de renforcer la prise de conscience collective des mécanismes discriminants, et des moyens pour les faire reculer.

Dans la lutte contre les discriminations, sont à privilégier toutes les actions qui permettent de s’organiser et d’agir collectivement (à l’intérieur du centre, avec les habitants, avec les partenaires). Rester attentif à ce que les actions mises en place produisent, c’est-à-dire se doter d’objectifs pragmatiques et d’indicateurs de réussite, est une condition « sine qua non »  pour se rendre compte, et rendre compte des changements, à court et à moyen terme.

Enfin, capitaliser et diffuser les « actions qui marchent » est un bon moyen de soutenir la mobilisation et de la démultiplier.

Antonella Relli
Mars 2005

 

(1) Cette définition est celle du document « Agir concrètement contre les discriminations » de décembre 2003 page 9 de Profession Banlieue

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"Malaise dans le management"

 

Irrités ou fascinés, les acteurs de l’action sociale sont forcément interpellés par le sujet. La fonction est difficile, exigeante et met à rude épreuve ceux qui l’exercent. Bien sûr, il existe une multitude de situations et ce n’est pas tout à fait pareil d’être directeur   d’une association de grande taille ou chef de service d’un établissement de taille modeste, mais.. La réflexion proposée ici a pour  objectif de contribuer au débat et à la réflexion sur un sujet actuel qui touche les relations humaines et la capacité à « faire ensemble ».

 

Vous avez dit management ?

Management, ce terme globalisant peut servir à désigner la quasi totalité des activités d’une structure, de l’organisation à la gestion des ressources humaines. C’est dans le champ des ressources humaines que le mot lui même provoque, dans le secteur social, des  réactions diverses. En forçant le trait, on peut dire qu’il y a ceux qui, dès que le mot est prononcé, voient la structure transformée  en fast-food et ceux pour qui, au contraire, le mot est magique et représente l’avenir du secteur ; ou encore ceux qui, à l’instar de monsieur Jourdain, le font sans le savoir, d’autres sans le vouloir, certains pour qui c’est naturel, d’autres enfin pour qui il est participatif… bref, le terme management est flou et éveille l’imaginaire de chacun.

Le constat d‘une faible culture du management dans l’action sociale, ou d’un mode de management plus implicite, semble  évident ;  mais il serait dommage de faire comme s’il y avait tout à apprendre de l’entreprise sur le sujet. En effet, la confrontation « idéologique » sur ce thème peut s’avérer stérile et servir d’évitement à poser les questions qui s’imposent dans le secteur.

Un autre (1) élément à prendre en compte et qui oblige à réfléchir à la fonction de management, est celui de l’effet de la démographie professionnelle : 50% des directeurs des établissements et services sociaux et médicaux sociaux, vont partir à la retraite dans les dix années à venir.

 

Ni illusion, ni nostalgie

Il n’est pas inutile de rappeler que, dans le monde de l’entreprise, le management n’est pas si simple à mettre en œuvre ; on parle de plus en plus de stress, de souffrance au travail, de démotivation etc. Les outils et méthodes managériales semblent assez inefficaces pour ne pas dire contreproductives face à ces difficultés et une  telle panoplie trouve ses limites dans le facteur humain qui en constitue l’élément essentiel et non une simple variable d’ajustement.

Dans le secteur de l’action sociale, la figure du manageur issue du terrain, ce qui lui conférait une autorité presque naturelle et de  proximité, n’a pas été à l’abri de nombreux dérapages…. Le travail social (2) s’est construit sur une logique professionnelle ; ce sont les  professions qui l’ont structuré et, dans cette configuration, le directeur, souvent issu des métiers de base, devait d’abord être  reconnu de par sa compétence dans  ceux-ci. Aujourd’hui, les organisations priment sur les professions et la gestion administrative,  budgétaire et politique des structures a pris une dimension prépondérante dans la fonction de directeur ; elle doit s’articuler avec la  dynamique de projet, la pratique de l’évaluation, la complexité des politiques publiques et repositionner la place des usagers.

 

Un monde professionnel plus paradoxal et plus complexe

Un certain nombre d’évolutions viennent questionner les métiers du secteur social ou, pour reprendre l’expression de F. Dubet, les formes « de travail sur autrui » et obligent à se pencher sur les pratiques démocratiques internes des structures. Le management, pour accompagner ces mutations, est au cœur de ces tensions car il doit jongler en permanence avec le soutien et l’exigence. Les  droits des usagers s’affirment de plus en plus. Cette tendance développe une, tout à fait intéressante, logique d’empowerment et de liberté individuelle plus grande face aux institutions ; mais elle provoque aussi une déstabilisation certaine de la place des uns et des autres et tout particulièrement celle des professionnels. Aider ceux-ci à faire face et à construire de nouveaux repères est une fonction essentielle du management.

Les notions de responsabilité et d’autonomie des professionnels se développent au même moment que les divers outils et pratiques d’évaluation, de contrôle, de mesure de la performance individuelle et collective. Ces exigences et contraintes nouvelles apportent un climat empreint d’inquiétudes individuelles et collectives et induisent le développement de stratégies défensives. La capacité du management à rassurer et à négocier est déterminante.

Les professionnels sont confrontés aux difficultés d’insérer et de protéger un nombre de plus en plus important de personnes méritant chacune une attention et des réponses singulières. Certains d’entre eux voient leur motivation se réduire, allant jusqu’à ne plus  croire à l’efficacité d’une action rendue plus incertaine et plus dépendante d’autres interventions et facteurs qu’auparavant. Donner  du sens, aider à comprendre les situations, à dire les difficultés, coordonner et mobiliser les compétences nécessaires sont  des moyens que le management doit favoriser pour soutenir le travail des équipes.

A partir des difficultés inhérentes aux évolutions, on voit s’esquisser quelques unes des orientations managériales possibles pour  repenser cette fonction et il me semble qu’il faut d’autant plus réaffirmer, dans cette période de changement, l’importance de l’encadrement.

A côté de ces mutations sociétales, l’activité de management est aussi redessinée par les changements du fonctionnement interne des organisations et structures.

Ouvrir le débat sur cette fonction et penser cette dernière de manière spécifique doit permettre de sortir de l’alternative entre un modèle de management issu du terrain et dépassé, et celui inspiré des méthodes anglo-saxonnes en vigueur dans les entreprises.

Le management n’est pas qu’une affaire de compétences à acquérir ou à développer, ni une affaire de méthodes et d’outils à  importer qui serviraient de cache misère et tendraient à développer une sous culture du management incapable de faire face aux  enjeux d’avenir. Car il faut bien admettre que les enjeux majeurs ne sont pas d’abord techniques mais bien politiques et démocratiques.

 

Penser la fonction dans sa complexité

C’est bien un ensemble de savoirs, savoir faire et savoir être qui sont nécessaires pour assumer une fonction de management et on ne peut réduire cette compétence à la seule maîtrise des techniques et des outils. En reprenant la réflexion de Jean-Pierre Le Goff (3) conduite avec les manageurs des entreprises,  il me semble utile de distinguer quatre dimensions dans l’exercice du management :

  • une éthique en situation, ce sont un ensemble de principes que les manageurs se donnent eux mêmes et qui constituent des repères qui guident leur pratique et n’ont de sens qu’en référence à des situations concrètes à affronter. Ces principes visent, dans  la fonction de management, à éviter la manipulation et à garder l’estime de soi. Les manageurs ont ainsi nommé : le principe de cohérence entre la parole et les actes qui engage directement la crédibilité des cadres ; « le courage de dire les choses » aux gens  concernés avec franchise et tact ; le respect et la considération du personnel et la modestie.
  • des qualités humaines, indispensables à l’activité de management que sont la capacité de décider, la qualité de l’expression et de  l’écoute. Ces qualités sont considérées comme décisives car elles déterminent une manière d’être dans le travail.
  •  des savoir-faire, dans le domaine des relations humaines qui s’acquièrent avant tout avec l’expérience : savoir concilier et  négocier, connaître les hommes et leurs compétences, faire preuve de tact, humaniser les rapports de travail.
  •  des compétences, directement opérationnelles dans la résolution des problèmes, la capacité d’analyse et de synthèse, de communication et d’argumentation.

 

Quelques pistes pour un management d’avenir

Un pouvoir partagé

Il y a sans doute à envisager de mieux identifier les responsabilités entre directeurs, directeurs adjoints et chefs de service ainsi qu’à développer le fonctionnement de collectif de direction.

Ce n’est plus un homme (ou une femme ; mais malgré la féminisation massive des métiers du social, elles restent aussi minoritaires que dans l’entreprise dès qu’il s’agit de postes de direction) qui est seul aux commandes mais une équipe qui agit ensemble. Ceci est d’autant plus nécessaire du fait de la multitude des compétences et rôles à assumer et a le double avantage de contenir  les  dérives possibles liées à une conception du management de type charismatique, ou aux tentations d’autoritarisme, et de préparer les successions.

 

Une place pour l’expérience

Il s’agit de considérer que l’expérience est un savoir qui a autant d’importance que des savoirs plus théoriques. Ceci implique sinon  de « transmettre », au moins de faire exprimer et de structurer les situations auxquelles sont confrontées les directions, puis de les formaliser pour constituer une base de référence dans laquelle on puiserait pour construire une fonction riche de passé et d’avenir. Cela peut se réaliser, à l’échelle des structures, dans une relation de l’ordre du tutorat, comme une modalité d’apprentissage à part entière qui a sa place dans la formation au management, à condition de ne pas la réduire à « faire la même chose » mais bien, à  partir des situations et difficultés rencontrées, ouvrir la réflexion. Mais il serait sans doute préférable de l’envisager dans le cadre d’une recherche-action visant à théoriser les pratiques actuelles afin de nourrir les contenus de formation des cadres. Ceci pourrait avoir d’autant plus de sens dans la période qui s’annonce où la moitié des directeurs va partir à la retraite.

 

Des mises en situation

Apprendre en faisant, c’est une modalité à développer dans les formations de management et qui implique de systématiser les  mises en situation et les analyses des difficultés rencontrées. Le coaching peut aider car il réunit les conditions essentielles que sont   la confiance et le soutien pour être dans une position d’apprentissage mais qui autorise, y compris, à faire des erreurs. Manager    est une fonction difficile qui implique une capacité à faire face à la critique et nécessite de porter un regard positifs sur les autres. Si  l’encadrant n’est pas lui même soutenu faces aux difficultés qu’il rencontre, il peut avoir une attitude qui dénigre le travail des  équipes et produire ainsi dysfonctionnement et mal être dans la structure.

 

Des clés pour comprendre le monde

Face aux mutations et à la complexification des politiques sociales et du monde du travail, la nécessité de décoder et de resituer les événements dans une approche socioéconomique et socioculturelle peut aider au sentiment de maîtrise et renforcer la capacité à faire des choix, à communiquer et à argumenter. Les sujets sont nombreux et les moyens de l’information aussi, la formation des  cadres (qualifiante et continue) pourrait renforcer cette dimension.

 

En guise de conclusion

L’homme grandit avec la grandeur de sa tâche (Carl Gustav Jung).

Le management est une activité complexe et dont il ne faut pas sous estimer les difficultés. On pourrait alors dire que les temps sont durs pour les manageurs, mais il est à mon avis tout le contraire : les temps sont propices pour réinventer cette fonction. L’aventure est tentante car si la fonction est plus complexe, ce sont bien ces multiples dimensions à traiter qui donnent de l’épaisseur au poste.

 

Antonella Relli
Novembre 2006
(1) Dossier ASH janvier février 2006.
(2) Je reprends ici le propos de Pierre Bechler directeur de l'institut régional et européen des métiers de l'intervention sociale de Rhône Alpes.
(3) Jean-pierre le Goff : Le mythe de l'entreprise.

 

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Interventions

- Assises nationales octobre 2002 à Marseille pour le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée (CNLAPS) ;

- Rencontres nationales du CNFPT Strasbourg décembre 2000 participation à l’atelier «  Quels outils de diagnostic partagé pour les territoires ? » ;

- Colloque « Lutter contre les maltraitances » pour la Croix Rouge Française, mai 2006.